Abécédaire critique de la “novlangue” dans le champ éducatif,  Numéro 20,  Patrick Rayou

Innovation

L’innovation, comme condition de l’amélioration des pratiques des enseignants, figure au référentiel de leurs compétences pédagogiques. Le ministère consacre à l’innovation une Journée inscrite au plan national de formation des enseignants. Dans cette logique, innover c’est nécessairement aller de l’avant en renvoyant au musée le cours magistral, la classe en autobus ou le travail de copie. L’enseignant qui ne fait pas travailler en îlots, n’utilise pas de capsules vidéo, ne fait pas manipuler, ne procède pas exclusivement par dévolution de problèmes, ne propose pas des situations authentiques, etc. est alors fortement soupçonné de « résistance au changement ».

Celui-ci, considéré comme une valeur en soi, incontestable (mais changer pour aller où et comment ?) s’inscrit souvent dans des modèles nés hors de l’école, comme l’art militaire (la pédagogie par objectifs), le monde du soin (l’accompagnement) ou de l’entreprise (les compétences), importés tels quels sans grand examen critique et souvent remplacés par d’autres panacées.

Si innover est faire du neuf, il faut cependant le faire avec du vieux, car des siècles de pédagogie ont très largement exploré les possibles en la matière. Le très conservateur Platon nous montre déjà un Socrate aidant un jeune esclave à découvrir par lui-même la règle de la duplication du carré. De même, la vogue actuelle des pédagogies Montessori emprunte aux travaux de cette femme médecin qui, il y a plus d’un siècle, s’intéressait aux développements atypiques. L’innovation décrétée, imposée « top down », risque par ailleurs tout à la fois de faire l’objet d’un rejet de la part de ceux qui n’en voient pas l’intérêt et de l’abandon de ses initiateurs « bottom up » qui n’y reconnaissent plus leur invention. Il est par ailleurs paradoxal de voir les tenants ministériels de pratiques fondées sur la preuve préconiser à tout-va des innovations qui n’ont fait l’objet d’aucune procédure d’évaluation. Dans de nombreux cas il s’agit d’une fuite en avant sur le mode du « on a tout essayé » qui, sous un vernis de modernité, tente de recouvrir les difficultés récurrentes de notre école à assurer sa démocratisation. Et ce au détriment des plus fragiles des élèves, plus perturbés qu’aidés par les changements brutaux de manières de faire.

De fait, enseigner est nécessairement innover, car il est rare que les séquences « nickel chrome », comme disent les stagiaires, se déroulent comme prévu. C’est un art de l’adaptation porté par la conviction que tous les élèves peuvent apprendre. Plus que de chercher à produire d’impossibles nouveautés radicales ou d’éphémères « wouaouw effets », il s’agit de puiser dans la panoplie disponible de ressources pédagogiques pour mettre en rapport de façon pertinente les fins poursuivies et les techniques utiles. Pour cela, l’aide à la constitution de collectifs d’enseignants faisant parler le métier semble bien préférable à la prescription unique et descendante. Cela nécessite une pérennité des équipes, une disponibilité, des relais entre différents niveaux de l’institution. Et aussi une collaboration étroite avec des chercheurs pour construire des outils d’évaluation et, plus généralement, développer un esprit d’enquête susceptible de repérer les idées conservatrices travesties en nouveautés et mettre en œuvre davantage de pratiques favorables à la réussite de tous.

Patrick Rayou
Professeur émérite en sciences de l’éducation à Paris 8

Ressource

Tricot, A., L’innovation pédagogique, Retz, collection Mythes et réalités, 2017.