Abécédaire critique de la “novlangue” dans le champ éducatif,  Nathalie Sayac,  Numéro 20

Évaluation

On ne peut parler d’évaluation scolaire sans prendre en compte le contexte éducatif et politique dans lequel elle s’inscrit. En France, les collèges jésuites du XVIème siècle et leurs principes fondateurs de méritocratie et d’émulation par la compétition ont durablement marqué notre approche de l’évaluation. Certes, dès le XIXème siècle l’école républicaine s’est fondée en opposition à cet héritage, mais il n’en reste pas moins qu’encore aujourd’hui, on parle plus souvent de l’évaluation des élèves que de l’évaluation des acquis des élèves.

Cette différence d’attribution témoigne d’une vision de l’évaluation attachée aux individus et explique, en partie, pourquoi les rapports internationaux (CNESCO, 2014 par exemple) qualifient souvent l’évaluation française de normative. Néanmoins, depuis quelques années, de nouvelles prescriptions institutionnelles en matière d’évaluation sont apparues et rejoignent celles adoptées depuis longtemps par d’autres pays (Canada, Angleterre, Portugal, etc.). Les curricula de ces pays s’appuient sur des travaux scientifiques prônant une approche de l’évaluation intégrée aux processus d’apprentissages (Scriven, Black & William, Allal, Mottier Lopez). La « loi de refondation de l’école » de 2013 s’est inscrite dans cette approche en promouvant une « évaluation positive, valorisant les progrès, évitant la notation sanction et visant à mesurer les progrès des élèves », bien que les concepts d’évaluation formative ou d’Assessment For Learning n’y sont pas présents. On ne les retrouve pas non plus explicitement dans la « loi pour une école de la confiance » promulguée en juillet 2019, alors même que l’évaluation y tient une place majeure.

Mais l’attention portée à l’évaluation et l’injonction de la mettre au service de la réussite des élèves ne suffisent pas pour en faire un véritable outil au service des apprentissages des élèves car comme le souligne Perrenoud (1997) « L’évaluation passe par les pratiques d’acteurs, individuels ou institutionnels, qui sont rarement dépourvus de raison et de raisons, mais dont les rationalités sont limitées et diverses, parfois contradictoires ».

Au-delà de l’évaluation, ce sont donc bien les pratiques d’évaluation des enseignant·es qui sont déterminantes pour combattre l’échec scolaire et promouvoir une école égalitaire. Quand certain·es professeur·es considèrent qu’il faut adapter l’évaluation aux élèves c’est que, d’une part ils/elles ne conçoivent l’évaluation que dans sa dimension sommative (c’est-à-dire en fin de séquence d’apprentissage), mais que d’autre part, leurs référents principaux sont les élèves et non les savoirs ou compétences en jeu. Cette vision peut amener à porter un regard fataliste sur les élèves et à leur attribuer des étiquettes que les notes contribuent souvent à renforcer. Elle s’accompagne souvent d’une baisse des exigences et d’un pilotage de l’évaluation par des considérations extra-scolaires, souvent génératrices d’inégalités scolaires, spécifiquement françaises, dénoncées dans toutes les enquêtes nationales (CNESCO, DEPP) et internationales (PISA, TIMSS).

Les évaluations standardisées nationales ou internationales, qui prennent de plus en plus de place dans nos systèmes éducatifs, concourent au développement d’une approche quantitative de l’évaluation qui encourage comparaison et compétition. De telles évaluations, souvent conçues sans concertation avec les principaux partenaires que sont les enseignant·es des classes concernées ou les syndicats qui les représentent, servent rarement l’ambition de régulation annoncée et font davantage l’effet de coups médiatiques que d’actions efficaces pour faire évoluer la culture de l’évaluation en France.

Nathalie Sayac
Directrice de l’INSPÉ Normandie
Rouen-Le Havre

Ressource

Merle, P., Les pratiques d’évaluation scolaire. Historique, difficultés, perspectives, Paris, PUF, 2018.