Numéro 13,  Patrick Singéry,  Quelques idées communistes pour l'éducation

Édito | Penser l’éducation : un impératif de tout projet communiste

Faut-il encore le rappeler ? La classe capitaliste version néolibérale-mondialisée théorise et met en pratique un projet économique, social, politique et idéologique de la plus grande cohérence.

Projet économique : permettre l’augmentation sans limite du capital financier, organiser l’appropriation par quelques-uns des plus-value générées par le travail du plus grand nombre, assurer la domination du capital sur le travail, réduire le « coût » du travail, les « dépenses » publiques et transférer au privé tout ou partie des services publics et des « biens communs »…

Projet social : mise en concurrence permanente et généralisée des entreprises, pays, régions, des peuples, des individus, individualisation des parcours professionnels, remise en cause de tout ce qui est considéré comme un « frein à la compétitivité, à l’augmentation des parts de marché », fin des statuts, destruction du droit du travail…

Projet politique : élaboration et imposition de cadres réglementaires, législatifs et institutionnels : accords de libre-échange de type Ceta, directives européennes, lois travail, « réformes » structurelles des système de transports, de santé, d’éducation…

Projet idéologique : imposer dans tout le « corps social » ,dans toutes les classes sociales et en chacun des individus, l’acceptation de l’inéluctabilité de l’exploitation sans fin et de la mise en concurrence des peuples, des ressources, des individus…

Rien de très nouveau dans ce rappel… si ce n’est une accélération sans précédent des connaissances, une augmentation exponentielle des moyens de production intellectuelle et matérielle qui s’opèrent dans le cadre de ce capitalisme et en permettent le développement.

Rien de nouveau… si ce n’est que ces phénomènes d’accélération et d’ augmentation se font sur la base d’un creusement tout aussi impressionnant des inégalités et d’une mise en danger elle aussi sans précédent de l’humanité, de notre part d’humanité et de la planète.

Parce qu’ils savent ce que lutte de classes veut dire, les dirigeants et représentants du capitalisme version néolibérale mondialisée pensent l’éducation et lui donnent une place centrale dans leur projet : Le « pragmatisme » d’un Blanquer, ses multiples « réformes », mesures et annonces, sont des éléments stratégiques essentiels, cohérents, pensés et sans cesse actualisés pour cette bataille économique, sociale, politique et idéologique.

La capacité du capitalisme à penser certaines de ses propres contradictions pour renouveler les conditions de sa domination, interdit de se contenter de croire qu’il atteindrait de lui-même ses limites. Sa logique du champ de ruines humain, social et écologique, porte en elle la nécessité d’un projet alternatif.La question de l’éducation ne saurait être absente de ce projet :

La centralité des questions d’éducation dans tout projet de société, dans tout projet politique, n’est pas nouvelle. Depuis plus de deux siècles, en France, elle irrigue l’histoire des luttes sociales, est toujours au carrefour de l’économique, du politique et de l’idéologique : Révolution Française, Commune de Paris, juin 36, plan Langevin-Wallon, mai 68, public/privé…

Centralité aujourd’hui attestée par la multitude des travaux de recherche qui lui sont consacrés (sociologie, psychologie, didactique, pédagogie, politique éducative…), par le travail réalisé dans certains syndicats, dans des mouvements pédagogiques et d’éducation populaire : jamais le travail critique et prospectif sur l’éducation et le système éducatif n’a été aussi riche et divers qu’aujourd’hui.

Centralité également attestée par les attentes et les exigences sociales contradictoires qu’elle génère, par l’investissement des parents des classes populaires dans un système scolaire dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne facilite pas un tel investissement, et par les luttes sociales qui se mènent régulièrement à l’occasion de « réformes » qui rendent le système éducatif de plus en plus inégalitaire.

Ces recherches, attentes, exigences, luttes sociales, sont – à condition d’être analysées, discutées, relayées dans le corps social – des matériaux irremplaçables et indispensables pour penser/agir afin d’inverser le cours de la bataille politique et idéologique au coeur de laquelle sont posées les questions d’éducation.

Penser l’éducation comme enjeu théorique-pratique majeur de la lutte de classes, de l’émancipation possible des travailleurs par eux-mêmes, est alors un impératif, constitutif de tout projet communiste. Penser cet enjeu, c’est ce à quoi souhaite contribuer ce numéro de Carnets rouges. En proposant d’examiner les articulations possibles entre la notion de « commun » et ce que peuvent être une éducation, une culture émancipatrices, un travail émancipateur ; en rappelant quelques éléments de l’histoire des idées communistes sur l’école ; en revenant sur des expériences de mise en pratique de ces idées ; en interrogeant les pratiques professionnelles, celles d’élus communistes…

Ce numéro de Carnets Rouges, s’il apporte des éléments de réflexion, pose aussi cette double question dans laquelle peut se lire l’enjeu d’un projet communiste socialement émancipateur parce que fondé sur l’égalité et le « tous capables » : peut-on penser le communisme sans penser l’éducation ? Peut-on aujourd’hui penser l’éducation sans penser le communisme ?

Patrick Singéry
Membre du comité de rédaction de Carnets rouges

👁 Consultez et téléchargez librement Carnets rouges n°13 | Mai 2018 : Quelques idées communistes pour l’éducation