Catherine Sceaux,  Enseigner : quel travail ?,  Numéro 7

Crise du métier et souffrance ordinaire des enseignants

Rapport de Brigitte Gonthier-Maurin au Sénat

D’après le rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par la mission d’information sur le métier d’enseignant, par Mme Brigitte Gonthier-Maurin, Sénatrice (Juin 2012).

Le rapport sur le métier d’enseignant de Brigitte Gonthier-Maurin, part du constat de la souffrance ordinaire des enseignants. Les conflits au travail s’exacerbent. Les enseignants ont l’impression de ne pas pouvoir accomplir du bon travail.

“ La solitude des enseignants se traduit par un isolement face à la classe, aux parents et à la hiérarchie mais aussi par un émiettement du milieu enseignant où les dynamiques collectives sont bridées. ”

Cette crise du métier est due à plusieurs causes. D’une part, la succession rapide des réformes a abouti à une prolifération des missions imparties à l’école. L’échec de la masterisation a fragilisé la formation des enseignants, affaibli la préparation à l’entrée au métier et provoqué l’assèchement des viviers de recrutement. L’idée d’une Education véritablement nationale, garantie à tous, s’est affaiblie avec la multiplication des expérimentations non évaluées, les disparités des politiques académiques et l’accroissement de la pression évaluative sur les enfants et sur les personnels. La solitude des enseignants se traduit par un isolement face à la classe, aux parents et à la hiérarchie mais aussi par un émiettement du milieu enseignant où les dynamiques collectives sont bridées. D’autre part, la RGPP (révision générale des politiques publiques) a systématiquement placé les impératifs financiers devant l’ambition pédagogique. Nous constatons des réductions drastiques de postes avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partants à la retraite, (soit 68 000 postes d’enseignant supprimés sur cinq exercices budgétaires pendant le quinquennat de N. Sarkozy) et les prévisions de départ en retraite. En 2010-2011, la disparition annoncée du dispositif de départ en retraite anticipée des mères de trois enfants a provoqué une augmentation anticipée du nombre de départs ; entre 2012 et 2016, selon les prévisions de la DGRF, les départs en retraite représentent en moyenne chaque année 18 500 emplois temps plein (ETP) premier et second degré, soit 90 000 départs en retraite sur cinq ans. C’est à partir de ces éléments combinés à l’évolution des effectifs d’élèves qu’il faut réfléchir à la mise en place d’un vrai plan pluriannuel de recrutement (pré-recrutement et recrutement).

Des propositions

Face à la crise de recrutement sans précédent, Brigitte Gonthier-Maurin fait plusieurs propositions pour redresser la situation.

1. Redonner sens à l’école en recentrant l’école sur les objectifs de démocratisation de l’accès au savoir. Penser une école sur le modèle de l’élève qui n’a que l’école pour apprendre. Repenser le mode de fonctionnement de l’institution pour rendre plus démocratique la vie de l’Education Nationale avec moins d’injonctions verticales et plus de soutien et de respect pour le travail des enseignants. Cela passe par l’arrêt de la RGPP et le lancement d’un pré-recrutement pour couvrir tous les départs en retraite.

2. Refonder le métier d’enseignant pour répondre à l’objectif de démocratisation de l’accès au savoir qui doit être replacée au cœur de la mission de l’Education nationale.

Pistes de travail

Elle propose plusieurs pistes de travail :

– une remise à plat de la formation basée sur 5 grands axes : a) garantir un cadre national fort pour assurer une égalité de traitement dans tout le territoire, b) maintenir des structures spécifiques de formation des enseignants au sein des universités, c) ouvrir des pré-recrutements dès la licence, d) assurer une professionnalisation progressive au cours du master et rétablir une véritable année de stage avant la titularisation, avec la mise en œuvre d’une politique ambitieuse de formation continue au sein de l’éducation nationale, e) tenir compte de la diversité dans l’exercice du métier d’enseignant en veillant spécifiquement sur deux segments fragiles que sont la maternelle et le lycée professionnel (la maternelle afin de permettre la pré scolarisation dès 2 ans pour les familles qui le souhaitent). Une attention particulière à l’outre-mer devra être portée afin de permettre une pleine scolarisation en primaire dès 6 ans de tous les enfants.

– aménager des lieux et des temps, développer des décharges de service pour les collectifs enseignants qui naissent hors des logiques hiérarchiques afin de lutter contre l’isolement. Une expérience de collectifs enseignants SNES-CNAM[1]Voir article d’Alice Cardoso et Catherine Remermier dans ce numéro offre des perspectives intéressantes : des groupes de pairs se réunissent pour échanger sur leur travail, sans aucun regard hiérarchique en surplomb et les problèmes individuels sont réinterprétés comme des problèmes généraux, liés à l’organisation du travail et non à la personne de l’enseignant lui-même. Cette démarche va à l’encontre de la tendance à diffuser des guides de bonnes pratiques qui vise à la standardisation des pratiques enseignantes, pour en faciliter le contrôle sans améliorer l’efficacité pédagogique.

– préparer les futures réformes avec les enseignants reconnus comme experts de leur métier au lieu de les considérer comme des obstacles.

Catherine Sceaux
Réseau Ecole

Notes[+]