Abécédaire critique de la “novlangue” dans le champ éducatif,  Bernard Rey,  Numéro 20

Compétence

« Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture identifie les connaissances et compétences qui doivent être acquises à l’issue de la scolarité obligatoire. »

Ce qui fait le succès de la notion de compétence, c’est qu’elle permet d’établir des listes de ce que les élèves doivent savoir faire à tel moment du cursus.

Mais à qui et à quoi ces énoncés de compétences servent-ils ?

En réalité, chacun désigne, non pas la compétence en elle-même, mais ce qu’elle permet de faire : « lire », « mettre en œuvre un projet artistique », « argumenter », « se situer dans l’espace et dans le temps ». La compétence elle-même est inférée : lorsque, dans une situation donnée, un individu argumente, on en infère qu’il y a en lui une potentialité qui lui permet d’accomplir cette action à la fois maintenant et dans toutes les situations où il y a à argumenter. Or cette inférence n’est vraiment assurée que pour des actions régies par des algorithmes, par exemple « effectuer une multiplication par écrit ». Dès qu’on a affaire à des actions complexes qui ont à chaque fois des caractères singuliers, la permanence de la compétence n’est pas avérée : ce n’est pas parce qu’un individu argumente (ou raisonne, ou communique, etc.) correctement sur un problème donné dans une circonstance donnée, qu’on est sûr qu’il pourra le faire dans tout autre cas.

Les énoncés de compétences présents dans les référentiels disent le résultat à obtenir, mais non pas des démarches pour y parvenir et par là laissent en suspens la question de savoir s’il existe de telles démarches. Par exemple y a-t-il une démarche qui permette de « raisonner » dans toute situation ?

Par suite :

■ L’énoncé des compétences ne dit rien sur les démarches, méthodes, moyens à mettre en œuvre pour accomplir le type d’action attendue. Ces énoncés constituent un discours prescriptif, indifférent à ce qui, tant du côté des élèves que des enseignants, serait nécessaire à la construction de ces compétences.

■ Ne disant rien sur le « comment faire », les référentiels n’apportent aucun élément qui puisse servir à l’évaluation formative. Ils sont en revanche tout à fait propices aux évaluations certificatives. En imputant la réussite ou l’échec dans une tâche scolaire à quelque chose de non explicité qui serait au cœur du sujet et qu’on appelle la compétence, on ne contribue guère à s’interroger sur ce qui pourrait réduire les inégalités de réussite à l’école.

N’y aurait-il pas cependant un bon usage de la notion de compétence ?

Oui. Mais pour cela, il faut cesser de voir dans la compétence quelque chose qu’on ne prend pas la peine d’expliciter et dont la présence ou l’absence serait imputable au seul individu ; et aller voir ce qui, en dehors de lui, contribue à établir la compétence ou à l’empêcher. Par exemple :

■ Se demander ce qui n’a pas été explicité dans les tâches scolaires et qui fait que certains élèves interprètent la tâche d’une manière qui, sans être absurde, diffère du sens que lui donne l’enseignant. Comment se construisent, dans la classe, les malentendus ?

■ Se demander ce qui, dans les savoirs scolaires, oblige à rompre avec l’expérience et la pensée ordinaires et qui peut mettre en difficulté certains élèves. C’est ce qui arrive par exemple dès les premiers contacts avec l’écrit, lesquels obligent l’élève à suspendre son attention au sens d’un mot, pour s’attacher aux sons dont il est constitué. Tout au long de la scolarité, des savoirs exigent des élèves qu’ils abandonnent leur manière de penser familière. Comment les y aider ?

Bernard Rey
Centre de Recherches en Sciences de l’Éducation
Université Libre de Bruxelles

Ressource

Rey, B., La notion de compétence en éducation et formation. Enjeux et problèmes, Bruxelles, De Boeck, 2014.