Abécédaire critique de la “novlangue” dans le champ éducatif,  Héloïse Durler,  Numéro 20

Autonomie

« Ne pas s’énerver et privilégier l’autonomie » : telles étaient les principales recommandations faites aux parents par Jean-Michel Blanquer lors d’une interview radiophonique en mars 2020[1]Interview de Jean-Michel Blanquer sur Radio Classique : http://video.lefigaro.fr/figaro/video/ne-pas-s-enerver-et-privilegier-l-autonomie-les-conseils-de-blanquer-pour-faire-classe-a-la-maison/6142775118001/,page consultée le 14 avril 2020., alors que se mettait en place l’enseignement à distance. Comme dans bon nombre de pays touchés par la pandémie de COVID-19, les circonstances inédites de fermeture des écoles ont donné lieu à des discours, politiques ou experts, rappelant l’importance de la « continuité pédagogique » et mettant l’autonomie des élèves au premier plan. On a pu lire dans la presse que ceux-ci avaient à cette occasion « tout intérêt à consolider leur savoir et à développer plus d’autonomie dans leur travail » ou encore que l’enseignement à distance leur apportait, entre autres bénéfices, « une plus grande autonomie ».

Ces propos révèlent la double conception communément associée à la notion d’autonomie. Premièrement, face à une situation d’apprentissage, il « suffirait » aux élèves de se montrer plus autonomes, sur un mode volontaire, pour surmonter leurs éventuelles difficultés. Selon cette perspective, l’autonomie peut être accompagnée ou « privilégiée » par les parents, mais elle résulte avant tout d’un effort conçu comme individuel. Deuxièmement, dans une approche plus naturalisante, des conditions adéquates – l’enseignement à distance, par exemple – permettraient ipso facto de faire « surgir » une autonomie naturellement présente en chacun d’entre nous, et ne demandant qu’à se manifester, pour peu qu’on lui en laisse la possibilité. Corollaire de ces conceptions, l’élève qui n’est pas autonome est un élève qui n’aurait pas fait l’effort de l’être ou qui, « trop » cadré par les adultes, n’aurait pas eu l’occasion de laisser s’exprimer son autonomie.

Nous défendons ici l’idée, à rebours de ces conceptions responsabilisantes et naturalisantes, que l’autonomie, dans le contexte scolaire, recouvre la capacité à réaliser seul des tâches attendues par l’école, et repose sur la maîtrise de connaissances spécifiques et la possession de dispositions particulières (comme la capacité à se concentrer sur une période donnée ; avoir le « goût de l’effort », etc.). Autrement dit, l’autonomie correspond à une intériorisation des normes, des codes et des savoirs scolaires. Est-ce encore de l’autonomie ? On peut en débattre. Il n’est cependant pas déraisonnable d’avancer que la réussite scolaire participe à offrir des formes d’autonomie aux individus. Or, en la matière, de nombreux travaux sociologiques ont démontré l’existence d’inégalités entre les élèves en fonction de leur milieu social.

Par conséquent, si l’on souhaite réellement favoriser l’autonomie de tous les élèves, il est indispensable de s’interroger sur les conditions sociales de sa construction et de considérer les moyens (i.e. les étayages, les processus pédagogiques, les interactions sociales, les formes de différenciation, etc.) par lesquels l’institution scolaire peut prendre en charge, en son sein, la construction des connaissances et des dispositions permettant la réussite scolaire de toutes et tous. A cet enjeu scolaire, pédagogique, s’adjoint un enjeu politique. L’école ne peut faire qu’une partie du chemin, la réduction des inégalités scolaires étant inséparable de la lutte contre les inégalités sociales.

Héloïse Durler
Professeure associée en sociologie
à la Haute école pédagogique du canton de Vaud,
Membre du LATEFA
(Laboratoire d’analyse du travail enseignant
et de la formation par alternance)

Ressource

Durler, H., L’autonomie obligatoire. Sociologie du gouvernement de soi à l’école, Rennes, PUR, 2015.

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